L’écriture Cunéiforme
Article mis en ligne le 18 octobre 2019
dernière modification le 22 août 2019

L’écriture Cunéiforme (du latin cuneus, « !clou ! »), mode d’écriture utilisant des traits en forme de clou, inscrits principalement sur des tablettes d’argile, mais aussi sur des pierres, des métaux, de la cire ou d’autres matériaux. Cette technique fut employée par d’anciens peuples du Moyen-Orient. Les textes les plus anciens en écriture cunéiforme datent d’environ cinq mille ans et ont précédé de quelque mille cinq cents ans l’utilisation des premiers alphabets. L’écriture cunéiforme fut progressivement abandonnée au cours du Ier millénaire av. J.-C., et les dernières inscriptions cunéiformes remontent au Ier siècle de notre ère.

L’écriture cunéiforme est née dans le sud de la Mésopotamie, sans doute inventée par les Sumériens, qui l’utilisèrent pour écrire leur langue, le sumérien ! ; par la suite, elle servit à noter la langue assyrienne, dont le babylonien est un des dialectes. L’assyrien, langue des derniers habitants de Sumer, devint la langue de communication internationale et fut enseigné dans les écoles d’Asie Mineure ! ; l’usage de l’écriture cunéiforme s’étendit en Syrie, en Perse et jusqu’en Égypte, où elle servit à la correspondance diplomatique.

Elle fut adaptée à diverses langues locales telles que le hourrite en Mésopotamie du Nord, en Syrie et en Asie Mineure ! ; l’éblaïte en Syrie ! ; le hittite, le louvite et le palaïte en Asie Mineure ! ; l’ourartéen, en Arménie ! ; l’élamite, en Perse. De nouveaux systèmes d’écriture apparurent, gardant le clou comme élément de base mais différant du système assyrien par la forme et l’utilisation des caractères. Les plus connus sont ceux d’Ougarit (Ras Shamra, en Syrie) pour noter l’ougaritique, une langue sémitique, et celui mis au point en Perse pour transcrire le vieux perse de la période achéménide (v. 550-v. 330 av. J.-C.).

Premières méthodes d’inscription

Les premières inscriptions cunéiformes se composaient de pictogrammes. Comme il est plus facile de tracer dans l’argile des lignes droites que les contours irréguliers des pictogrammes, on inventa un stylet conçu pour tracer des empreintes effilées, et ces contours furent peu à peu modifiés et se transformèrent en motifs composés d’éléments en forme de coin, qui se stylisèrent à tel point qu’ils finirent par ne plus guère présenter de ressemblance avec les pictogrammes d’origine.
À l’origine, chaque signe correspondait à un mot. Comme les mots impossibles à représenter graphiquement étaient notés par le pictogramme d’un objet associé (par exemple, « !dieu ! » était représenté par une étoile, « !se tenir ! » et « !aller ! » par un pied), le même signe pouvait désigner plusieurs choses et correspondre à des mots différents. La plupart des mots sumériens sont monosyllabiques ! ; ce qui facilita l’utilisation, qui se répandit très vite, des signes avec la valeur phonétique de la syllabe correspondant au mot représenté, indépendamment de la signification de celui-ci. Les signes qui avaient plusieurs lectures logographiques acquirent également plusieurs valeurs syllabiques (signes polyphoniques). Par ailleurs, les Sumériens possédaient de nombreux mots dont la prononciation était identique (homophones) ! ; par suite, les valeurs syllabiques qui furent attribuées à ces homonymes coïncidaient elles aussi.
À son apogée, le système cunéiforme comportait tout au plus six cents signes. La moitié de ces signes correspondaient à des logogrammes ou à des syllabes, l’autre moitié n’ayant qu’une valeur logographique. Les signes servaient aussi de déterminants pour indiquer la catégorie (homme, arbre, pierre) à laquelle appartenait un mot. Tout au long de son existence, ce système combina logogrammes et représentations syllabiques. Appliqués à une autre langue, les logogrammes étaient simplement lus dans cette langue. Même si, à certaines époques, se manifesta une tendance à la simplification de l’écriture, par la réduction du nombre des logogrammes et l’utilisation de la polyphonie, le passage à la création proprement dite d’un alphabet, dans lequel chaque signe correspond à un son, ne se produisit pas dans les anciennes écritures cunéiformes. Seules les plus tardives de l’ougaritique et du vieux perse y parvinrent.

Premières tentatives de traduction

Les caractères cunéiformes découverts par les premiers voyageurs sur certaines ruines et, en particulier, sur celles de Persépolis, en Iran, sont longtemps restés non déchiffrés. En 1621, Pietro Della Valle, un voyageur italien, remarqua les 413 lignes inscrites sur la paroi rocheuse de Béhistun, dans l’ouest de l’Iran, et en recopia certains signes. En 1674, Jean Chardin, un négociant français, publia des groupes complets d’écriture cunéiforme et observa que les inscriptions se présentaient toujours par séries de trois formules parallèles. Les premiers progrès réellement enregistrés dans le déchiffrage de l’inscription de Béhistun sont le fait de Carsten Niebuhr, un membre allemand de l’expédition scientifique danoise au Proche-Orient de 1761 à 1767. Il fut le premier à penser, à juste titre, que ces inscriptions en trois parties pourraient être des transcriptions d’un même texte dans trois types d’écriture inconnus, et il publia, en 1777, les premières copies complètes et précises de l’inscription de Béhistun. Ces grandes inscriptions trilingues de Darius Ier, roi de Perse, étaient rédigées en cunéiformes perses, élamites et babyloniens. Les rois perses de la dynastie des Achéménides utilisaient ces trois systèmes d’écriture afin que leurs décrets soient connus de leurs sujets de ces trois nations.
L’écriture cunéiforme perse fut la première des inscriptions déchiffrées. Les chercheurs allemands Oluf Gerhard Tychsen et Georg Friedrich Grotefend ainsi que le philologue danois Érasme Christian Rask identifièrent chacun plusieurs signes. L’orientaliste français Eugène Burnouf déchiffra ensuite la majorité des signes du système d’écriture cunéiforme perse, tandis que l’assyriologue britannique Henry Creswicke Rawlinson interprétait indépendamment le texte qu’il avait recopié lui-même à partir de la paroi de Béhistun, et publia les résultats de ses recherches en 1846. Le déchiffrement du système cunéiforme perse fut facilité par la connaissance du pahlevi, langue descendant du vieux perse. Le système perse est le plus simple et le plus tardif de tous les systèmes cunéiformes. Il se compose de trente-six caractères, qui sont presque tous alphabétiques bien que certains soient aussi employés pour certaines syllabes simples. En outre, le système cunéiforme du vieux perse utilise un signe comme séparateur entre les mots contigus. Il fut employé de 550 à 330 av. J.-C. Le plus ancien échantillon qui nous soit parvenu est sans doute une inscription de Cyrus le Grand à Pasargades, et le plus récent, celle d’Artaxerxès III (qui régna aux environs de 358-338 av. J.-C.) à Persépolis.

Le cunéiforme élamite est souvent appelé « !la langue de la deuxième formule ! » parce qu’elle occupe la deuxième position sur l’inscription trilingue des rois achéménides. Son déchiffrement fut entrepris tout d’abord par l’orientaliste danois Neils Ludvig Westergaard en 1844. Le fait que le texte de l’inscription trilingue soit repris mot pour mot dans chacune des écritures cunéiformes fut d’une grande importance dans la traduction de l’élamite, pour laquelle aucune langue connue à l’époque ne pouvait fournir d’aide. Ce système contient quatre-vingt-seize signes syllabiques, seize logogrammes et cinq déterminants. Le sens des textes élamites est généralement clair, même si la signification de certains mots demeure encore incertaine. La version babylonienne de l’inscription de Béhistun fut déchiffrée grâce aux efforts conjoints de l’orientaliste français Jules Oppert, de l’orientaliste irlandais Edward Hincks, de l’archéologue français Caignart de Saulcy, et de Rawlinson. La similitude entre la langue écrite de cette troisième formule et certains dialectes sémitiques bien connus simplifia le déchiffrement. Les inscriptions de Béhistun donnèrent la clef de l’énigme du cunéiforme babylonien, mais l’on sait à présent qu’il était déjà en usage plus de deux mille ans avant que ne fussent gravées ces inscriptions. De nombreux documents cunéiformes extrêmement anciens ont été découverts à Babylone, à Ninive et sur d’autres sites bordant l’Euphrate et le Tigre. Le cunéiforme babylonien est gravé sur des sceaux, sur des cylindres, sur des obélisques de pierre, sur des statues et sur les murs des palais. On le trouve écrit sur un grand nombre de tablettes d’argile de tailles variées : certaines ont un format de 22,8 cm par 15,2 cm, d’autres une surface dépassant à peine 2 cm2 ! ;. L’écriture est souvent minuscule. Certaines des plus petites tablettes ne comportent pas moins de six lignes et ne peuvent être lues qu’à la loupe.

Connaissance moderne de l’écriture cunéiforme

Il manquait une preuve indiscutable que l’écriture cunéiforme fût à l’origine constituée de pictogrammes, jusqu’à la découverte d’inscriptions primitives entièrement pictographiques. L’universitaire allemand Friedrich Delitzch, en 1897, fit valoir que l’écriture cunéiforme ne pouvait se composer à l’origine uniquement de pictogrammes, et soutint au contraire le fait que les pictogrammes s’étaient développés à partir d’un nombre relativement restreint de signes de base. Les combinaisons de ces signes de base, affirmait-il, avaient, au fil du temps, donné naissance à des centaines de signes cunéiformes. Sa théorie reçut un accueil mitigé mais la majorité des chercheurs se rangèrent à cette théorie de l’origine pictographique. Le principe en fut définitivement établi en 1913 par l’orientaliste américain George Aaron Barton dans son livre The Origin and Development of Babylonian Writing, (« !Origine et développement de l’écriture babylonienne ! ») qui présentait un ensemble de 288 pictogrammes trouvés dans les inscriptions cunéiformes les plus anciennes dont il reconstituait l’évolution. Selon Barton, les signes d’origine furent élaborés d’après le corps humain et ses différentes parties ainsi que d’après les mammifères, les oiseaux, les insectes, les poissons, les arbres, les étoiles et les nuages, la terre et l’eau, les bâtiments, les bateaux, le mobilier et les divers ustensiles domestiques, le feu, les armes, les vêtements, les objets de culte, les filets, les pièges, la poterie et les instruments de musique. Des fouilles conduites de 1928 à 1931 à Uruk, sur le site de l’actuelle Warka, en Irak, par des archéologues allemands, permirent de découvrir les plus anciens exemples connus de pictogrammes gravés sur des tablettes d’argile.
L’on doit, pour une grande part, à la traduction de l’écriture cunéiforme nos connaissances actuelles sur l’ancienne Assyrie et sur l’ancienne Babylone ainsi que sur le Moyen-Orient en général. Le code cunéiforme d’Hammourabi est l’un des documents les plus importants issus de toute l’Antiquité. D’autres tablettes cunéiformes ont permis d’éclairer l’histoire de l’Égypte ancienne. Un texte cunéiforme découvert en 1929 pendant les fouilles françaises de Ras Shamra, dans le nord de la Syrie, s’est révélé être un alphabet de consonnes ! ; on estime qu’il fut en usage à partir de 1400 à 1200 av. J.-C. Les textes mythologiques écrits dans ce qu’on a appelé l’alphabet cunéiforme de Ras Shamra nous renseignent sur de nombreux aspects de la vie religieuse du Moyen-Orient antique et ont pesé sur plusieurs réinterprétations de certains des aspects de la Bible.